Le Rôle des Parlementaires dans la Gestion des Dépenses Fiscales dans la Zone CEDEAO

Cet article fait partie d’une série de blogs sur le rôle crucial des parlements dans l’élaboration des politiques relatives aux dépenses fiscales. Les auteurs contributeurs comprennent des membres du parlement, des fonctionnaires gouvernementaux et d’autres experts dans le domaine des dépenses fiscales. D’autres articles de la série sont disponibles sur les Philippines, les Pays-Bas, les États-Unis, la Zambie et la Californie. L’introduction de la série est disponible ici. 

La version en anglais est disponible ici.


Les dépenses fiscales, qui constituent des dépenses publiques réalisées par le biais du système fiscal, telles que les exonérations, les déductions, les taux réduits et les crédits d’impôt, peuvent avoir un impact significatif sur les finances publiques. L’évaluation de ces mesures dérogatoires est cruciale pour améliorer la politique fiscale et assurer une allocation optimale des ressources publiques.

Bien que les experts techniques des ministères en charge des finances et des administrations fiscales soient souvent à la tête de ces évaluations, les parlementaires jouent un rôle essentiel tout au long du processus de gestion des dépenses fiscales.

La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a engagé depuis 2018 des réformes pour l’harmonisation et l’amélioration de la gestion des impôts et taxes au profit de la Commission et de ses États Membres. Parmi les dix nouveaux textes adoptés le 07 juillet 2023 par la conférence des Chefs d’États et de Gouvernements, figure la Directive C/DIR.04/07/23 portant harmonisation de la méthodologie d’évaluation des dépenses fiscales dans les États Membres de la CEDEAO.

Démarche de la CEDEAO en matière de gestion des dépenses fiscales

Depuis janvier 2012, les pays membres de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) se conforment à la Directive communautaire N°01/2009 du 27 mars 2009 portant sur le Code de transparence dans la gestion des finances publiques au sein de l’UEMOA. Pour l’ensemble de ces pays, en dehors de la Guinée Bissau, les dépenses fiscales sont évaluées annuellement et des rapports y relatifs sont régulièrement produits.

La Décision 08/2015/CM du 02 juillet 2015, instituant les modalités d’évaluation des dépenses fiscales dans les États Membres de l’UEMOA est pratiquement appliquée par la plupart des États Membres. En 2021, tous les pays de la CEDEAO (sauf le Ghana, le Cap vert, la Guinée Bissau, le Libéria, la Gambie et le Niger) respectaient déjà les dispositions de l’art 11 relative à la publication des rapports annuels sur les dépenses fiscales au Parlement. Cependant, en dehors de l’UEMOA, ce n’est pas toujours le cas dans les autres pays de la sous-région Ouest-Africaine. Par exemple le Nigéria, le Cap Vert, la Gambie et la Guinée Bissau n’ont expérimenté les méthodes d’estimation des pertes de recettes liées à l’octroi d’avantages fiscaux et douaniers que depuis 2021.

La requête de validation des textes fiscaux, la transposition des directives et le rôle des Parlementaires de la CEDEAO

Les États Membres de la CEDEAO sont invités à transposer dans leurs législations nationales, les orientations relatives aux modalités d’évaluation des dépenses fiscales. Il est important de souligner que les Parlementaires jouent un rôle important lors de la définition des orientations régionales (Parlement de la CEDEAO) et pendant l’adoption des lois nationales (Députés à l’Assemblée Nationale). Ils précisent les règles d’application des mécanismes d’évaluation et de suivi des dépenses fiscales.

La quatre-vingt-dixième Session ordinaire du Conseil des Ministres de la CEDEAO qui s’est tenue les 6 et 7 juillet 2023 à Bissau, République de la Guinée Bissau a réuni les Ministres en charge de l’intégration régionale et des finances. Durant leurs travaux, ils ont adopté 10 textes règlementaires qui rentrent dans le cadre de la consolidation de l’architecture juridique de l’Union douanière et de l’harmonisation fiscale de la CEDEAO. Au nombre de ces textes, on peut citer deux Directives qui portent sur l’harmonisation de la fiscalité : (i) la Directive portant harmonisation des législations des Etats membres de la CEDEAO en matière de Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), et (ii) la Directive portant harmonisation de la méthodologie d’évaluation des dépenses fiscales.

i. Directive portant harmonisation des législations des Etats membres de la CEDEAO en matière de TVA

Les réformes entreprises en matière de TVA par la CEDEAO ont pour objectifs : (i) de moderniser l’administration de la TVA, (ii) d’améliorer le rendement et l’efficacité de la TVA, (iii) et de renforcer les capacités opérationnelles des Etats Membres pour une meilleure mobilisation des recettes intérieures dans le contexte actuel de libéralisation des échanges et de désarmement tarifaire. Les principales avancées consacrées par la Directive TVA sont :

• introduction d’un nouveau paradigme qui prône l’élargissement de la base de taxation à la TVA ;

• lutte contre la double taxation des opérations au sein de la Zone CEDEAO à travers l’introduction du principe de destination pour la TVA appliquée au transport intracommunautaire ;

• proposition d’une liste de 10 produits de premières nécessités pour lesquels les Etats Membres ont la faculté de les taxer au taux réduit grâce au nouveau dispositif communautaire. La directive sur les dépenses fiscales recommande l’évaluation de l’impact socioéconomique des mesures relatives aux taux réduits ;

• élaboration d’un guide pratique régional sur la TVA dans le but de faciliter l’interprétation et l’application homogènes de la Directive en matière TVA.

ii. Directive portant harmonisation de la méthodologie d’évaluation des dépenses fiscales dans les États Membres de la CEDEAO

Les réformes fiscales engagées par la CEDEAO pour l’harmonisation des méthodes d’évaluation et une meilleure maîtrise des dépenses fiscales visent deux principaux objectifs : (i) renforcer la gouvernance et la transparence pour faciliter les prises de décisions éclairées, (ii) maîtriser les exonérations et incitations fiscales afin d’accroitre de manière significative la mobilisation des recettes fiscales intérieur.

La Directive C/DIR.04/07/23 portant harmonisation de la méthodologie d’évaluation des dépenses fiscales dans les États Membres de la CEDEAO engage les Parlementaires de la CEDEAO sur les domaines essentiels de gestion des dépenses fiscales.

Elle contient les éléments suivants :

• des éléments de référence aux nouveaux objectifs de la transition fiscale, notamment les évaluations nationales des manques à gagner qui s’étendent à l’évaluation des effets des exonérations sur (i) les recettes fiscales en faisant un choix explicite quant aux exonérations incluses dans le droit commun, (ii) les incitations économiques, (iii) l’équité et la lutte contre la pauvreté, et (iv) la qualité du service offert au contribuable;

• des mécanismes permettant d’assurer une coordination régionale de l’octroi des avantages fiscaux, afin de réduire une source importante de concurrence fiscale entre pays d’Afrique de l’Ouest;

• des éléments d’harmonisation du système fiscal de référence (SFR TVA défini en 2022) : une démarche visant à élargir progressivement le champ de l’évaluation régionale a été proposée aux États Membres;

• un mécanisme permettant une synthèse régionale de l’évaluation des dépenses fiscales : (i) consolider dans un document unique régional (CEDEAO) et (ii) déduire les mesures d’harmonisation et soumettre à la décision des autorités;

• une référence au Guide méthodologique d’évaluation qui a été testé et implémenté dans des États Membres (ancrage de l’Unité de politique fiscale, sources des données, publications et diffusion des rapports annuels sur les dépenses fiscales, etc.);

• l’existence de deux grilles de collecte harmonisée de données à caractère fiscales et douanières annexées au Guide méthodologique.

Prochaines étapes et domaines d’amélioration

a) Méthodes d’évaluation

La maîtrise des méthodes utilisées par les Parlementaires facilite la compréhension et la pertinence des mesures dérogatoires.

Les États Membres réalisent des analyses approfondies des effets distributifs des dépenses fiscales et leurs impacts socio-économiques qui est complémentaire à l’évaluation budgétaire des manques à gagner (Article 6 de la Directive). Généralement les évaluations ont tendance à se concentrer uniquement que sur les manques à gagner de recettes fiscales. Cette approche n’inclut que rarement les études économiques ou les répercussions sociales des exonérations fiscales. L’absence de financement ou la difficulté d’accès aux données sont évoquées pour expliquer la faible présence des analyses des incidences autres que budgétaires. Cependant, une telle lacune est dommageable dans la mesure où la prise de décision des autorités nationales tend à reposer uniquement sur les séquelles des exonérations fiscales concernant les manques-à-gagner et, concomitamment, à négliger leurs conséquences sociales et économiques.

b) Renforcer l’intérêt des évaluations de dépenses fiscales

Une part plus importante accordée aux effets économiques et sociaux permettrait de renforcer le poids des évaluations de dépenses fiscales dans le processus de décisions budgétaires. Souvent, en raison du manque d’informations fiables, les décideurs (autorités gouvernementales, membres du Parlement) ne parviennent pas à saisir l’ampleur des conséquences économiques et sociales des mesures fiscales dérogatoires. Dans ce cas, les décideurs peuvent être enclin à engager des politiques d’exonérations extensives. Or, il est fondamental que les Parlementaires évaluent si les dépenses fiscales sont alignées sur les objectifs de développement nationaux et prioritaires. Ils doivent évaluer l’efficacité de ces mesures pour atteindre leurs objectifs de développement durable de leurs ressorts territoriaux.

c) Transmission, publication et diffusion des rapports d’évaluation des dépenses fiscales

Les rapports annuels sur les dépenses fiscales sont transmis à la CEDEAO au plus tard trois mois après l’adoption de la loi de finances initiale ou du budget annuel (Article 11 de la Directive). Le rapport annuel sur les dépenses fiscal est annexé au projet de loi de finances transmis à l’Assemblée Nationale. Pour ce faire les Parlementaires doivent s’engager avec des experts, des organisations de la société civile et d’autres parties prenantes pour mieux comprendre les questions liées aux dépenses fiscales. Le renforcement des capacités au sein du parlement est crucial pour un contrôle efficace

d) Actions de communication

Pour les pays effectuant une évaluation des dépenses fiscales, la communication se réduit pour l’essentiel à annexer l’évaluation des dépenses fiscales à la Loi de finances. Cette procédure est essentielle pour disposer de l’ensemble des documents budgétaires nécessaires à la prise de décision des autorités gouvernementales et aux procédures de consultation du Parlement.

Cependant, en raison de sa construction spécifique, ce document annexé n’est pas facilement accessible pour un non-spécialiste. De plus, dans certains pays tels que le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Niger, l’évaluation des dépenses fiscales n’est pas rendue publique, ni même attachée à la Loi de finances. Ces restrictions sont antinomiques à la nécessité d’informer les différentes entités (Parlementaires, société civile, opinion publique, entreprises privées et publiques) concernées par l’évaluation des dépenses fiscales.

 

En définitive, l’approche régionale d’évaluation des dépenses en Afrique de l’Ouest constitue une approche unique et originale. Elle s’appuie sur une expérience des pays de la zone UEMOA ainsi que les bonnes pratiques de gestion des dépenses fiscales au sein des pays anglophones. La mutualisation des expériences a abouti à l’élaboration et l’harmonisation des outils d’évaluation et de suivi des exonérations ou des incitations fiscales à l’investissement.

Les parties prenantes de cette initiative sont les administrations fiscales et douanières, les organisations de la société civile, les Universitaires et les Parlementaires. En participant activement dans l’évaluation des dépenses fiscales, les Parlementaires peuvent contribuer à des politiques fiscales plus efficaces, transparentes et équitables en Afrique de l’Ouest. Cela nécessite un engagement à exiger des données fiables et à privilégier les intérêts à long terme de leurs électeurs.

Le renforcement des capacités de ces différents acteurs repose sur une parfaite implémentation de la nouvelle directive et du Guide pratique de gestion de suivi des dépenses fiscales de la CEDEAO.

Les experts fiscalistes peuvent déterminer les effets distributionnels des exonérations de la TVA sur les produits de grande consommation. Ces exonérations de TVA sont souvent utilisées dans le but de réduire ces inégalités. Cependant, il n’est pas toujours évident que ces exonérations permettent d’atteindre les objectifs visés. Pour évaluer la pertinence des exonérations de la TVA sur la consommation de certains produits, il est analysé la distribution de leurs effets entre les couches de population en vue de répondre à la question « à qui profitent le plus ces exonérations ? ». Si ce sont les plus riches qui bénéficient de l’exonération, les Parlementaires sont invités à supprimer la mesure dérogatoire.